Victime de l’explosion de l’usine AZF il y a 20 ans, la sociologue Marie-Christine Jaillet participera au Forum de la Résilience des 4 et 5 octobre à Rouen.

Le 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine AZF (production de produits azotés) ravage plusieurs quartiers de Toulouse, causant la mort de 31 personnes, en blessant des milliers d’autres, privant de logement des dizaines de milliers d’habitants.
Cet accident industriel - le plus grave survenu en France depuis 1945 – sera évidemment évoqué ce lundi 4 octobre lors du Forum de la Résilience. Notamment à l’occasion de la table ronde organisée par la Métropole Rouen Normandie en partenariat avec le quotidien Le Monde sur le thème « Les villes face aux catastrophes : comment se relever ? ».
Parmi les intervenants, Marie-Christine Jaillet. Sociologue, directrice de recherche au CNRS, présidente du Conseil de développement de Toulouse Métropole, elle est elle-même victime de l’explosion d’AZF. À l’occasion des commémorations des 20 ans du drame de Toulouse, nous vous proposons l’interview que Marie-Christine Jaillet avait accordée au Mag quelques jours après l’incendie de Lubrizol, en septembre 2019.

Le Mag : Comment avez-vous vécu la catastrophe AZF ?
Marie-Christine Jaillet : Il faut savoir qu’avant AZF, j’ai vécu, enfant - j’avais une dizaine d’années -, l’explosion de la raffinerie de Feyzin en janvier 1966. Je me souviens de la lueur, de la peur des gens qui redoutaient une catastrophe en chaîne dans le couloir rhodanien de la chimie, où travaillait aussi mon père.
Lors de l’explosion d’AZF, le 21 septembre 2001, j’étais doublement aux premières loges. Je travaillais à l’Université de Toulouse, à 1 km à vol d’oiseau du site AZF, et j’habitais dans les quartiers du Mirail, également à 1 km. Je me souviens que l’explosion a été précédée d’une grosse secousse, tout s’est mis à trembler. On a vu cette lueur puis ce panache de fumée qui arrivait vers nous. C’était le choc et la crainte que la conduite de gaz aérienne qui passe à proximité explose. Les heures qui ont suivi l’explosion, on était dans une situation de peur maîtrisée. Il n’y avait pas de mouvement de panique, les gens étaient sidérés, silencieux, dans une ambiance de fin du monde. Les réseaux de communication étaient saturés, les gens étaient livrés à eux-mêmes dans les quartiers sinistrés. La Préfecture, par la voie de la radio, avait juste recommandé de se calfeutrer chez soi, mais c’était impossible dans les bâtiments éventrés ou aux fenêtres brisées ! Et il ne faut pas oublier que la catastrophe s’est produite dix jours après les attentats du 11 septembre…

Le Mag : Comment s’en remet-on ?
Marie-Christine Jaillet : Pendant presque un an, nous avons travaillé hors de nos locaux de l’Université, nous étions accueillis par des collègues. Chez moi, j’ai vécu le lot commun des « sans fenêtres ». Il a fallu réorganiser nos vies dans des appartements éventrés, avec un hiver très froid. J’ai aussi vécu et constaté la capacité d’entraide et de solidarité des habitants des quartiers touchés. Le nuage du sinistre nous a inquiétés, le doute sur les raisons de l’explosion a duré et suscité bien des interprétations et des suspicions. Il y a eu évidemment des victimes, des morts et des blessés, et de nombreux problèmes de santé, par exemple de surdité, vertiges… Il a fallu aussi gérer sur le long terme les conséquences psychologiques, encore maintenant 18 ans après (NDLR : 20 ans en 2021).
À l’échelle de l’agglomération toulousaine, j’ai constaté deux temps. Le temps de la gestion de la crise a prouvé la capacité des institutions locales et des services de l’État à mettre en œuvre des dispositifs innovants, efficaces, en dehors des cadres et des hiérarchies. Une fois la crise surmontée, les institutions ont retrouvé leur routine, n’ont pas su conserver cette capacité à dialoguer, à s’organiser. Très vite, les collectivités se sont tournées vers l’État, appelant à un « plan Marshall ». Après la crise, la société s’est fragmentée. Chaque groupe chacun de son côté. On le constate encore maintenant, notamment lors des commémorations.

Le Mag : Qu’est-ce qui a changé pour Toulouse ?
Marie-Christine Jaillet : La catastrophe a conduit la ville à conclure son histoire avec l’industrie chimique. Elle a mis en exergue que ce qui a frappé la ville était une industrie survivante, d’un autre temps… On a totalement effacé la présence de l’usine, y compris la cheminée emblématique. Mais Toulouse n’était pas marquée par l’industrie chimique. L’image de Toulouse, c’est l’aéronautique. La catastrophe n’a pas altéré cette image.